Les extraterrestres devraient-ils porter plainte contre nous ?

TL;DR : l'espace est à toute l'humanité selon le traité de l'espace. Mais de quel droit ?

Je suis récemment tombé sur une vidéo de CGP Grey portant sur l'Antarctique. Il y était notamment question des prétentions territoriales sur ce continent, lesquelles sont pour le moins compliquées…

Il y mentionne le fait que comme pour l'Antarctique, l'espace est consacré comme bien commun de l'humanité1. Et il ajoute : « [c'est] un peu présomptueux de dire que tout l'Univers nous appartient. Quelqu'un pourrait avoir deux mots à nous dire à ce sujet, mais ce sera pour une prochaine fois ». CGP Gray prévoit d'en parler dans une nouvelle vidéo, mais je vais le devancer et essayer de réfléchir à cette question ici-même.

Il faut en effet se poser la question de qui possède l'espace et son contenu, ce d'autant plus que l'exploration spatiale prend une tournure privée et qu'il n'est pas impossible que des compagnies privées souhaitent exploiter les ressources (minières notamment) situées dans l'espace.

Le droit

Déjà, il faut regarder ce qui est dit dans la loi. Divers traités dont le traité de l'espace, régissent ce que les pays signataires peuvent et ne peuvent pas faire dans l'espace extra-atmosphérique2. D'autres traités et résolutions des nations unies complètent le lot. Sans rentrer dans les détails parce que je ne suis pas juriste, listons rapidement ce que le traité dit :
  • Tout le monde peut aller dans l'espace s'il le veut et s'il le peut ;
  • Personne ne peut mettre d'arme de destruction massive dans l'espace3 ;
  • Personne ne peut construire de base militaire dans l'espace ou sur une autre planète ;
  • Les astronautes sont des envoyés de l'humanité ; les signataires s'engagent à porter assistance aux astronautes, d'où qu'ils viennent ;
  • Les pays sont responsables de ce qui est lancé pour eux, par eux, ou sous leur autorité : si une Ariane 5 tombe sur une zone habitée, la France est responsable car Kourou est en Guyane ;
  • Et surtout : l'espace est un bien commun de l'humanité et aucune nation ne peut réclamer un corps céleste et étendre sa souveraineté dessus.
En gros, l'espace appartient à tous et à personne. Un autre traité (le traité de la Lune) va plus loin en réaffirmant que la Lune et les corps célestes ne peuvent pas être récupérés par un état, mais il dit aussi que les ressources de la Lune doivent être considérées comme un bien commun et donc partagées. De fait, un signataire de ce traité qui prélèverait des ressources sur la Lune accepte de les partager avec le reste du monde… On comprend pourquoi ce dernier traité a eu nettement moins de signataires.

Dans un univers alternatif où le traité de l'espace n'existe pas, les nations spatiales se battent pour posséder la Lune.
Du coup, ok, aucun état ne peut dire « la Lune, c'est à moi ». Mais là où ces textes vont devoir être mis à jour, c'est dans le cas du privé. Car même si les états sont responsables des objets lancés ou immatriculés par eux, il n'est pas clair s'il est interdit à des compagnies privées d'exploiter les ressources des astéroïdes (par exemple).

Les États-Unis ont ainsi fait un pas en ce sens en signant une loi autorisant à des compagnies américaines le droit de posséder et de vendre des ressources qu'elles extrairaient dans l'espace. Le problème avec ce texte est qu'il constitue une mesure unilatérale de la part des États-Unis et qu'il est probablement en violation du traité de l'espace (voir ici) ! Mais d'autres font remarquer qu'envoyer un satellite privé (de télécommunication par exemple) est déjà potentiellement en contradiction avec le traité de l'espace !

On le voit, le droit de l'espace est compliqué et ne couvre pas tous les cas qui vont se présenter dans les prochaines décénnies. Pour dire vrai, le projet de la NASA de capturer un astéroïde pour le mettre en orbite lunaire afin de mieux l'étudier est d'une très ambitieux, mais il est aussi potentiellement illégal !

Mais tout de même, je suis un peu dubitatif quant à l'article 1 du traité de l'espace :
L’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit le stade de leur développement économique ou scientifique ; elles sont l’apanage de l’humanité tout entière.
Par ces quelques mots l'Humanité se déclare avoir un droit d'exploration et d'utilisation de tout l'univers. C'est tout de même extrêmement culotté !

La morale 

En effet, avant même de considérer les arguments légaux, on peut se poser la question de l'éthique derrière tout ça. Déjà affirmer, avec beaucoup de bonnes intentions, que la Terre appartient à toute l'humanité est en soi très gros (quid des autres espèces ?). Mais dire que tout l'univers est notre terrain de jeu…

Et nous avons fort bien joué : les abords immédiats de la Terre sont une poubelle spatiale avec une énorme quantité de débris de taille variable. Et nous avons laissé des déchets et fait des trous sur la Lune, sur Mars et bien d'autres corps (même des comètes).

Philae le Conquérant imposant sa loi sur la comète 67P-Churyumov Guerasimenko.


Et maintenant nous songeons à déplacer des astéroïdes et à percuter des satellites d'astéroïdes pour tester notre capacité à les dévier en cas de besoin.
Non, il ne s'agit pas de faire un remake d'Armageddon, mais de voir comment un astéroïde (ici, le satellite d'un astéroïde) réagit à un impact. Un impacteur de la NASA viendrait percuter « Didymoon » le compagnon de Didymos et une sonde européenne viendrait elle étudier l'effet de l'impact. L'idée étant de voir en vrai, si on peut effectivement altérer l'orbite du satellite et donc estimer si cette technique peut être utilisée pour sauver la Terre en cas de visite inopportune.

Ma première réaction fut de me demander si nous en avions le droit. Pensons-y un instant : qu'est-ce qui nous donne le droit de toucher, modifier, déplacer des corps du système solaire ?

On peut arguer que les astéroïdes et les planètes sont, à notre connaissance, inhabitées et que personne ne peut s'en plaindre. Ce qui est, dans l'état de connaissances, vrai. Et puis on pourra aussi répondre que pour le moment, tout ceci est fait au nom de la science ou de la protection de notre espèce. Et c'est justement là que ça commence à coincer : c'est le cas pour le moment.

En effet, deux problèmes peuvent se mettre en travers de cette logique :
  1. Le spatial purement exploratoire et scientifique pourrait bientôt être suivi d'une exploration spatiale intéressée par les matières premières qui sont disponibles là-haut ;
  2. Il reste une possibilité que des formes de vie existent ailleurs dans l'Univers et même dans notre système solaire, et nous pourrions bien les détruire par accident !

Le capitalisme dans l'espace ?

On le sait, les matières premières présentent sur Terre finiront pas s'épuiser et leur consommation ne semble pas aller à la baisse. Et, comme l'extraction du gaz de schiste est devenue rentable à mesure que les prix du pétrole montaient, on peut tout à fait concevoir que les prix des métaux ou de certains composés présents dans notre système solaire deviennent un jour assez élevés pour que leur extraction soit rentable.



On retombe alors sur le problème de droit évoqué plus haut : selon comment on interprète le droit de l'espace, les exploitations minières sur des astéroïdes pourraient être assimilées à une appropriation et donc être en contradiction avec les traités. Le moins qu'on puisse dire c'est que les états sont responsables de ce qu'ils envoient, au moins indirectement… Les risques techniques que les compagnies minières pourraient faire peser seraient-ils sanctionnés en conséquence ? Risque-t-on de voir des pays plus regardants que d'autres sur ce que les entreprises spatiales font sur des astéroïdes, afin d'attirer les investissements, comme certains pays jouent sur les impôts sur les sociétés ? Comment accorder une concession sur un terrain qui n'appartient à personne ? Quel droit du travail doit-on appliquer : celui du pays de lancement, du pays où siège la compagnie, ou doit-on s'attendre à des travaux spatiaux détachés ?

Sans être juriste, il me semble clair que la situation actuelle n'est pas bien définie et que les états signataires du traité de l'espace vont sans doute devoir se réunir à nouveau pour prendre ces nouveautés en compte. Mais ce n'est pas le seul problème.

Un enjeu de protection planétaire !


Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la « protection planétaire » ne désigne absolument pas la protection de la Terre contre, mettons un astéroïde, mais bien des autres corps du système solaire contre nous4 ! En effet, les bactéries et autres micro-organismes sont parfois plus résistants qu'on ne le pense. Rien ne garantit qu'une sonde envoyée sur Mars ne porte pas sur elles des germes terrestres qui pourraient contaminer les mesures des instruments et plus grave encore, contaminer l'environnement martien. Pire, il n'est pas à exclure que nos bactéries, si elles venaient à rencontrer leurs homologues extraterrestres, ne viennent à les éliminer ! De fait, être prudent est absolument indispensable car nous voulons savoir si la vie existe ailleurs et non pas la tuer !

C'est alors que l'exploitation industrielle revient sur la table : pour un astéroïde, le risque est limité, mais que dire de compagnies qui voudraient aller sur la Lune ? Quid des risques de pollution industrielle ?

Autre exemple, pour se poser la question cette fois-ci du côté des scientifiques : Europe, satellite de Jupiter, présente une épaisse couche de glace sous laquelle se trouve vraisemblablement un océan d'eau liquide. Comme la lune est soumise à des effets de marée causés par sa proximité à Jupiter, il est possible qu'elle soit active à l’intérieur et que les conditions soient propices pour que la vie existe dans cet océan. Sauf que cet océan est scellé sous la glace5 et qu'il faudrait creuser pour le sonder. Or doit-on prendre le risque de contaminer cet océan avec nos bactéries ?

En conclusion

Entre le risque de contaminer l'espace, l'absurdité de se croire les maîtres de l'univers et les questions légales, le futur de notre exploration spatiale et la vision que nous portons sur l'espace doivent être réfléchies à deux fois. Pour le moment on ne peut pas dire que nous ayons été particulièrement envahissants, mais si des compagnies privées veulent utiliser les ressources dans l'espace ou si des humains veulent s'installer de façon durable sur la Lune ou Mars, il faudra vraiment avoir une réflexion poussée sur la légalité et la moralité de ces opérations.
Évidemment je ne propose pas de solutions maintenant, mais si je devais donner mon avis, j'aurais tendance à souhaiter que les humains soient moins gourmands avec l'espace qu'ils ne l'ont été avec la Terre. Il serait souhaitable que certains corps soient protégés : je pense à Europe qui ne devrait pas être touchée en attendant d'avoir des moyens d'être sûrs de ne pas la contaminer. Sur d'autres, des « réserves naturelles » devraient peut-être créées pour laisser des zones préservées pour la science ou juste pour la beauté des lieux ; c'est en particulier vrai pour la Lune et Mars. Je pense enfin que les permis d'exploitation minière devraient être donnés au compte-goutte afin de s'assurer qu'on n'aille pas labourer des astéroïdes entiers sans réfléchir un peu aux conséquences pour la Terre et pour le reste du système solaire.

Qu'en pensez-vous ?

Pour aller plus loin






1 : les humains, pas le quotidien 
2 : concept qui n'est pas vraiment défini légalement apparemment… 
3 : les armes conventionnelles sont elles autorisées, ah ah 
4 : pour être exact, la protection planétaire couvre aussi la contamination de la Terre par une sonde qui reviendrait de l'espace 
5 : Encélade, satellite de Saturne présente aussi un océan souterrain, mais elle a le bon goût de posséder des geysers qui éjectent de la matière dans l'espace. Un bon moyen d'avoir des échantillons gratuits !

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