Les plantes sont-elles vraiment vertes ?

L'essentiel des plantes et végétaux sont verts, tout le monde doté d'une vision « normale »1 peut le constater. Vous l'avez peut-être déjà entendu, cette couleur est liée à la présence de la chlorophylle dans les algues et les plantes. La chlorophylle, du grec khlôrós (« vert ») et phúllon (« feuille »), participe à la photosynthèse : elle permet aux plantes d'utiliser la lumière du Soleil comme source d'énergie, pour transformer l'eau et le dioxide de carbone en sucres.

Mais pourquoi la chlorophylle rend-elle la plante verte ? On peut pour cela regarder le spectre en réflectance de végétaux : cela revient à regarder la proportion de lumière réfléchie en fonction de la longueur d'onde de la lumière. On voit quelque chose comme ça :

Spectre d'une plante. La réflectance indique la proportion de lumière réfléchie (1 : toute la lumière est réfléchie ; 0,5 : la moitié est réfléchie ; 0 : l'objet apparaît noir). Les couleurs correspondantes aux longueurs d'onde sont indiquées. Figure adaptée de Xiaoyan et al. (2020)

On remarquera qu'il y a une bosse autour de 550 nm, ce qui correspond à la couleur verte. La chlorophylle étant plus réfléchissante dans le vert que dans les longueurs d'onde environnantes, elle apporte sa couleur verte à la plante. Rien de très étonnant jusqu'ici.

Mais nous nous sommes limités aux couleurs visibles par l’œil humain. Si l'on étend le spectre vers le proche infra-rouge, on observe ceci :

Même chose que la figure précédente, mais cette fois-ci avec le spectre complet. Figure adaptée de Xiaoyan et al. (2020)

 

Vous voyez cette énorme marche ? On l'appelle le « bord rouge » (red edge en anglais). À cause de la structure de leurs cellules, les végétaux sont beaucoup plus réfléchissants dans le proche infrarouge que dans le visible ! Si nos yeux étaient sensibles au rayonnement infrarouge, la végétation nous semblerait très brillante et les paysages seraient bien différents… Difficile à imaginer ? Pas vraiment !

Notre œil est effectivement limité dans sa perception, mais nos instruments ne le sont pas forcément. Les capteurs des appareils photo et caméras numériques sont sensibles au rayonnement ultraviolet et infrarouge. Comme les appareils photos sont destinés à reproduire fidèlement ce que nos yeux perçoivent, des filtres sont généralement ajoutés pour bloquer les parties du spectre qui nous sont invisibles.

Ce processus n'est pas irréversible, certaines entreprises peuvent pratiquer une « conversion » sur un appareil photo pour le rendre sensible à davantage de longueurs d'ondes. C'est par exemple ce qu'à fait Mathieu Stern dans cette vidéo (en anglais).



Mathieu Stern a rendu sa caméra sensible à l'infrarouge, ce qui rend les photos de végétation surréalistes avec un monde dominé par du rouge. J'ai notamment trouvé intéressant que des algues apparaissant noires à nos yeux révèlent de belles couleurs rouges, typique des végétaux. On peut aussi noter que les vêtements apparaissent presque tous rouges sur les images, ce qui laisse penser que l'essentiel des fibres textiles couramment utilisées sont très réfléchissantes dans l'infrarouge, indépendamment de leur couleur. Le rendu précis dépend du filtre utilisé et du post-traitement, mais l'idée est là : le monde en infra-rouge donne l'impression d'être dans un autre monde.

Photo du Jardin des Plantes (Paris) prise avec un filtre laissant passer toute la lumière de longueur d'onde > 590 nm. (Crédit : Alexandre Dell'olivo CC-BY-NC-SA, voir d'autres de ses photos en infra-rouge dans cet album.)

Outre permettre la prise de photos insolites, le red-edge et le spectre de la chlorophylle ont d'autres applications, très concrètes. L'étude du spectre de plantes révèle des choses sur leur état de santé, en particulier sur leur potentiel manque d'eau.

Illustration du spectre de plantes saines (vert) et de plantes malades (orange)

Ce genre de données est notamment utilisé en imagerie satellite, où des caméras ou des instruments infrarouges sont utilisés pour étudier l'état de santé de cultures ou de forêts.

Carte animée de la végétation de l'est de l'Île-de-France vue par le satellite Sentinel-2, sur l'année 2021 (une image par mois). Plus un point est vert, plus il y a de végétation. On voit bien Paris, qui est fortement urbanisée, et on repère aussi bien les variations saisonnières, en particulier au niveau des champs. (Images Sentinel-2)

Plus loin encore, le red-edge est considéré comme une méthode pour détecter la présence de végétation sur une exoplanète. Cette possibilité reste cependant modeste avec les moyens actuels : pour être détectable il faudrait sans doute que la planète soit majoritairement couverte de végétation, ou d'avoir des océans remplis d'algues. Et la présence de nuages pourrait aussi dissimuler la végétation et donc rendre le red-edge invisible.

La prochaine fois que vous sortirez, demandez-vous à quoi ressemblerait le monde si nous avions été sensibles à l'infra-rouge…


Notes:

1 : les exceptions notables pourraient être les personnes atteintes de daltonisme (perception anormale des couleurs) ou d'achromatopsie (pas de perception des couleurs).

Références : 

Xiaoyan et al. (2020) “Chlorophyll content for millet leaf using hyperspectral imaging and an attention-convolutional neural network”; Ciência Rural, v.50, n.3; http://dx.doi.org/10.1590/0103-8478cr20190731

Seager, S.; Turner, E.L.; Schafer, J.; Ford, E.B. (2005). "Vegetation's Red Edge: A Possible Spectroscopic Biosignature of Extraterrestrial Plants". Astrobiology. 5 (3): 372–390. ; https://doi.org/10.1089%2Fast.2005.5.372 (disponible aussi gratuitement sur arXiv)

Knipling, E. B. (1970). Physical and physiological basis for the reflectance of visible and near-infrared radiation from vegetation. Remote sensing of environment, 1(3), 155-159.

Cartes interactives des données Sentinel (et plein d'autres satellites d'observation de la Terre), librement accessible : https://apps.sentinel-hub.com/eo-browser




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